Comprendre la capture et l’utilisation du CO₂ (CCUS)
La capture et l’utilisation du CO₂, plus connue sous le sigle CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage), s’impose progressivement comme une innovation clé pour lutter contre le changement climatique. Cette technologie vise à capter le dioxyde de carbone à la source – dans les centrales électriques, les usines de ciment, les raffineries, les aciéries – ou directement dans l’air, puis à le valoriser ou à le stocker de manière durable.
Dans un contexte où les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, le CCUS apparaît comme un outil complémentaire à la décarbonation des secteurs difficiles à électrifier. Il ne remplace pas la réduction des émissions à la source, mais il offre une solution pour les procédés industriels où le CO₂ est inévitablement produit.
Pourquoi la capture du CO₂ est-elle essentielle pour le climat ?
Les scénarios du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) convergent : atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle devient très difficile, voire impossible, sans déploiement massif de technologies de capture du carbone.
Certaines industries émettent du CO₂ non seulement parce qu’elles brûlent des combustibles fossiles, mais aussi en raison de réactions chimiques intrinsèques à leur fonctionnement. C’est le cas par exemple :
- de la production de ciment, où la décarbonatation du calcaire génère du CO₂,
- de la sidérurgie, qui repose encore majoritairement sur le charbon métallurgique,
- de la chimie lourde (ammoniac, hydrogène, méthanol) fortement dépendante des hydrocarbures.
Pour ces secteurs dits « difficiles à décarboner », la capture et le stockage du CO₂ peuvent réduire significativement l’empreinte climatique, en complément de l’efficacité énergétique, de l’électrification et du recours aux énergies renouvelables.
Les principales technologies de capture du CO₂
La capture du CO₂ se décline en plusieurs approches technologiques. Elles diffèrent par le moment où le CO₂ est isolé dans le processus industriel, mais partagent un objectif commun : récupérer un flux de CO₂ suffisamment concentré pour être transporté et valorisé ou stocké.
Capture post-combustion : une solution adaptable aux installations existantes
La capture post-combustion consiste à extraire le CO₂ des fumées générées après la combustion du charbon, du gaz naturel ou d’autres combustibles. C’est aujourd’hui l’option la plus utilisée, car elle peut être ajoutée à des installations déjà en service.
Dans la plupart des cas, les gaz de combustion passent à travers un solvant chimique capable de fixer le CO₂, comme les amines. Le solvant est ensuite chauffé pour libérer le dioxyde de carbone pur, qui est compressé, puis prêt à être transporté.
Cette technologie est mature, mais énergivore. On parle de « penalty énergétique » : une partie de l’énergie produite par la centrale doit être réinvestie dans la régénération du solvant et la compression du CO₂. La recherche se concentre donc sur :
- de nouveaux solvants moins gourmands en énergie,
- des membranes sélectives plus efficaces,
- des matériaux solides adsorbants (zéolithes, MOF, charbons actifs).
Capture pré-combustion et oxy-combustion : optimiser la combustion et le flux de CO₂
La capture pré-combustion est principalement utilisée dans les centrales à gazéification intégrée et certaines unités de production d’hydrogène. Elle consiste à transformer le combustible (charbon, biomasse, gaz) en un mélange de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène (H₂), appelé syngaz. Le CO est ensuite converti en CO₂, séparé du flux, tandis que l’hydrogène peut être utilisé comme carburant bas carbone.
L’oxy-combustion repose sur une autre idée : brûler le combustible non pas dans l’air, mais dans un mélange d’oxygène quasi pur et de gaz recyclés. On obtient alors des fumées très concentrées en CO₂ et en vapeur d’eau, plus simples à traiter. Après condensation de la vapeur, le CO₂ peut être capté avec une efficacité élevée.
Ces approches promettent des taux de capture importants, mais nécessitent une reconfiguration profonde des installations et la gestion de nouveaux risques, notamment liés à l’utilisation d’oxygène pur ou à la production d’hydrogène.
Capture directe dans l’air (DAC) : retirer le CO₂ déjà présent dans l’atmosphère
La capture directe dans l’air est une technologie émergente qui vise à capter le CO₂ directement dans l’atmosphère, plutôt qu’à la sortie des cheminées industrielles. Cette approche présente un intérêt majeur : elle permet de traiter les émissions « diffuses » liées aux transports, à l’agriculture ou aux bâtiments, et pas seulement aux grandes installations.
Concrètement, de grands ventilateurs aspirent l’air ambiant à travers des filtres ou des solutions chimiques qui fixent le CO₂. Ce dernier est ensuite libéré, comprimé et peut être stocké ou utilisé. Des entreprises comme Climeworks ou Carbon Engineering ont déjà déployé des unités pilotes en Europe et en Amérique du Nord.
Toutefois, la capture directe dans l’air reste très énergivore et coûteuse, car la concentration de CO₂ dans l’atmosphère est faible (environ 0,04 %). Les progrès en matière de matériaux, d’efficacité énergétique et d’intégration avec des sources d’énergie renouvelable seront déterminants pour son déploiement à grande échelle.
Le transport et le stockage géologique du CO₂
Une fois capté, le CO₂ doit être acheminé vers un site de stockage ou d’utilisation. Le transport du CO₂ s’effectue généralement par :
- gazoducs dédiés, comparable aux réseaux de transport de gaz naturel,
- navires pour le transport maritime de CO₂ liquéfié, en particulier pour des projets offshore,
- camions ou trains, dans une logique de démonstration ou de courtes distances.
Le stockage géologique du CO₂ est l’option la plus courante pour isoler durablement le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Plusieurs types de réservoirs sont utilisés :
- anciens gisements de pétrole et de gaz épuisés,
- aquifères salins profonds, largement répandus sous les continents et les mers,
- certaines formations géologiques basées sur la minéralisation du CO₂ (réactions avec des roches basaltiques, par exemple).
Le CO₂ est injecté à grande profondeur, généralement à plus de 800 mètres, où la pression et la température l’amènent à un état supercritique. Dans ces conditions, il se comporte comme un fluide dense et occupe moins de volume. Des systèmes de surveillance sophistiqués (sismique, capteurs en forage, modélisations) sont déployés pour vérifier l’intégrité des réservoirs et éviter les fuites.
De la capture au recyclage : l’utilisation du CO₂ comme ressource
La dimension « utilisation » du CCUS (le « U » de CCUS) ouvre des perspectives intéressantes pour transformer le CO₂ en ressource. On parle alors de valorisation du CO₂, qui peut prendre plusieurs formes :
- Carburants de synthèse : production de méthane synthétique, de méthanol ou de carburants liquides en combinant CO₂ et hydrogène vert. Ces e-carburants peuvent décarboner l’aviation, le maritime ou certains usages industriels.
- Matériaux de construction : incorporation du CO₂ dans le béton et les granulats, par carbonatation minérale, pour emprisonner le carbone et améliorer parfois les propriétés mécaniques.
- Produits chimiques : synthèse d’urée, de plastiques ou de solvants à partir de CO₂, en remplacement de matières premières fossiles.
- Utilisations agricoles et alimentaires : enrichissement des serres en CO₂ pour accélérer la croissance des plantes, ou utilisations dans l’industrie agroalimentaire.
Si la plupart de ces applications ne permettent pas encore d’absorber des volumes massifs de CO₂ à l’échelle planétaire, elles contribuent à créer une économie circulaire du carbone et à soutenir le développement industriel des technologies CCUS.
Les enjeux climatiques, énergétiques et économiques du CCUS
La capture et l’utilisation du CO₂ suscitent de nombreux débats. D’un côté, elles sont présentées comme une innovation clé pour atteindre la neutralité carbone. De l’autre, certains acteurs craignent qu’elles ne servent de prétexte pour prolonger l’utilisation des combustibles fossiles.
Plusieurs enjeux majeurs structurent aujourd’hui la discussion :
- Enjeu climatique : seules les solutions qui garantissent un stockage durable ou un usage à longue durée de vie (béton, minéralisation, carburants avec compensation) contribuent réellement à réduire les concentrations de CO₂ dans l’atmosphère.
- Enjeu énergétique : la capture, le transport et le stockage du CO₂ demandent de l’énergie. Leur intégration avec des systèmes bas carbone (éolien, solaire, nucléaire) est donc essentielle pour un bilan positif.
- Enjeu économique : les coûts restent encore élevés, même si certaines filières, comme la capture sur des flux très concentrés ou la valorisation dans l’industrie chimique, deviennent plus compétitives grâce aux politiques publiques, aux quotas carbone et aux marchés volontaires.
- Enjeu social et territorial : les projets de stockage géologique doivent impliquer les populations locales et garantir la transparence des données, pour limiter les risques de conflit et renforcer l’acceptabilité.
Innovations technologiques et projets pilotes dans le monde
Partout dans le monde, des projets pilotes de capture et stockage du CO₂ se déploient, portés par de grandes entreprises de l’énergie, de la chimie ou de la construction, mais aussi par des start-up spécialisées.
En Europe, des initiatives comme Norcem dans le ciment en Norvège, ou le projet Northern Lights, visent à créer de véritables hubs de CO₂. L’objectif : mutualiser les infrastructures de transport et de stockage au bénéfice de plusieurs industriels. En Amérique du Nord, des projets de capture du CO₂ sur des centrales électriques et des unités d’hydrogène se multiplient, soutenus par des incitations fiscales.
En parallèle, des programmes de recherche se consacrent à :
- l’amélioration des matériaux de capture (membranes, MOF, solvants innovants),
- la réduction des coûts et de la consommation énergétique,
- la mise au point de procédés de minéralisation accélérée,
- l’intégration du CCUS avec la production d’hydrogène vert et les énergies renouvelables.
Ces innovations structurent peu à peu un véritable écosystème de la capture et de l’utilisation du CO₂, qui attire investisseurs, industriels et pouvoirs publics.
Vers une stratégie climatique intégrée autour du CCUS
Pour les décideurs publics, les industriels et les citoyens, la question n’est plus de savoir si le CCUS doit exister, mais comment l’intégrer intelligemment dans une stratégie climatique globale. La réduction des émissions à la source, le développement massif des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la sobriété restent les leviers prioritaires.
La capture et l’utilisation du CO₂ viennent s’y ajouter en tant que solution technologique ciblée, particulièrement pertinente pour :
- les secteurs industriels lourds difficiles à électrifier,
- la gestion des émissions résiduelles dans un scénario de neutralité carbone,
- la création de nouvelles filières industrielles bas carbone,
- la mise en place de solutions de carbone négatif via la DAC ou la bioénergie avec capture et stockage (BECCS).
Le CCUS ne représente donc ni une panacée, ni un alibi. Il s’agit d’un outil, puissant mais exigeant, qui nécessite des choix politiques clairs, des cadres réglementaires robustes, des investissements soutenus et une vigilance constante sur ses impacts réels. Utilisé avec discernement, il peut devenir une des pierres angulaires d’une transition vers une économie neutre en carbone, aux côtés des solutions d’efficacité énergétique, des renouvelables et des changements de comportement.
